Machine à signer de Jaquet Droz
Stupéfiant concentré de micromécanique, cet ovni présenté à Baselworld perpétue la tradition d’une horlogerie ancestrale proche du savoir-faire des grands automatiers.
Son allure emprunte à ces objets techniques, encastrables, à connotation industrielle et fonctionnelle. Dans un inconscient collectif pas si lointain, aux abords des années quatre-vingt, cette machine sophistiquée aurait pu être un de ces enregistreurs Nagra ultra compact ou un gadget issu d’un 007. Elle rappelle aussi ces grandes cassettes qu’on enfonçait dans des appareils à diffuser le son, juste avant l’arrivée de l’ère digitale. Pourtant, c’est d’un objet particulièrement actuel, le smartphone, que la machine à signer tire sa taille. Car, au sein de la Manufacture Jaquet Droz, dans le service des projets automates, la volonté était de ne pas dépasser le format d’un téléphone portable. Gagné, sur le plan de la longueur et de la largeur! Côté épaisseur, c’est un peu plus épais.
Personnalisations envisagées
Quoiqu’il en soit, la forme de cette machine est appelée à évoluer au fil des habillages que lui offrira l’équipe technique, toujours en mode personnalisation.
Gagnera-t-elle des rondeurs, des arrondis d’angle, des brillances? Rien n’est encore décidé, ce ne sont pas les idées qui manquent, ni les talents à l’interne pour les faire aboutir. Aujourd’hui, le modèle de présentation est en titane, heureusement pas trop léger puisque le poids permet la perception de quelque chose de vraiment mécanique. Quant à sa forme, brute en l’état, elle plaît déjà. A Bâle, l’intérêt était palpable, bien que son prix n’ait pas encore été définitivement fixé.
L’ultime personnalisation d’une telle machine reste la signature de celui qui l’acquiert et qui, au moment où il recevra son modèle, devra s’acquitter d’une formalité de décharge pour le cas où une personne mal intentionnée s’en servirait de manière abusive. Car la machine restitue une signature tellement ressemblante, à partir d’un scan fourni à la commande, qu’il est légitime d’imaginer qu’elle puisse, entre de mauvaises mains, nuire à son possesseur. Heureusement, un code à quatre chiffres, purement mécanique, prive l’objet de tout fonctionnement non désiré. Il sera fourni par l’acquéreur en même temps qu’il enverra sa signature scannée. Pour le modèle de démonstration présenté, ce code ne pouvait être que le 8888, chiffre fétiche de la marque. Quant à sa signature, retrouvée dans les archives et déjà utilisée, il s’agit naturellement de celle de «Jaquet Droz.»
Tout en attachée, avec une souplesse de style et un phrasé scriptural qui en dit long sur la maîtrise des trois cames chargées, de manière exclusivement mécanique également, d’insuffler ses mouvements au bras rétractable et repliable.
Mécanisme compliqué, simplicité d’usage
Au cœur de cette machine à signer, hormis un entrelacs de rouages visibles par une ouverture vitrée, un barillet se charge, grâce à un remontoir à gâchette situé sur l’un des flancs, de suffisamment d’énergie pour effectuer trois signatures successives. Identiques à la perfection, comme l’illustre la démonstration privée à laquelle je suis convié, qui impose au bras articulé de s’exécuter deux fois de suite… C’est à peine si le trait initial grossit. Posé verticalement sur ce bras, dans l’orifice qui lui est destiné, le stylo à bille Schmidt spécifiquement conçu pour se ranger en s’encastrant dans l’autre flanc de l’engin, joue la finesse de l’écrit même lors d’un deuxième passage. Sa recharge est mondialement standard.
La construction est simple, efficace. Finalement, c’est à l’usinage de trois cames, similaires à celles qui furent utilisées par Jaquet Droz et son fils lors de la construction de son automate L’Ecrivain, que naît la personnalisation.
Trois cames pour trois axes, celui de l’horizontalité, de la verticalité, soit celui du lever ou de la descente du stylo, et celui de la profondeur. Ce sont les seules pièces disposées les unes sur les autres puisque l’ensemble du mécanisme a été conçu non pas de manière verticale, comme pour L’Ecrivain, mais à plat pour occuper au mieux l’espace entre les parois. Le reste, pour l’obtention de la souplesse d’écriture et du style attaché, n’est que réglages de ressorts et affûtages subtils.
Si du temps de Jaquet Droz, la dimension humanoïde de ses automates rendait totalement compréhensible que, au fil de ses voyages et de ses haltes dans certains endroits reculés, on ait pu le taxer d’exercer la magie, la machine à signer actuelle transpire elle aussi un je ne sais quoi de paranormal. Un spectacle dont il est difficile de se lasser.
Des montres et des automates, l’histoire magnifiée
Pierre Jaquet-Droz (1721-1790) était un surtout un grand horloger, le premier à être notamment admis au sein de la cité interdite de Chine. Encore aujourd’hui, ses automates occupent une place maîtresse dans les musées.
Son «Ecrivain», par exemple, considéré comme l’ancêtre de l’ordinateur était capable d’écrire une phrase en écriture cursive. Il a aussi inspiré Martin Scorsese pour son film «Hugo Cabret.» Clairement, sous la houlette dirigeante de Marc Hayek, la marque entend magnifier cet héritage. Elle le fait en 2014 avec cette machine à signer, après être parvenue à réaliser la Bird Repeater, un automate couplé d’une répétition minute dont le mécanisme s’enclenche à la demande, puis en 2013, pour le 275ème anniversaire de la marque, avec la très poétique montre Charming Bird, dotée d’un bulbe facial abritant les ébats et les sons d’un oisillon plus vrai que nature. Ce territoire d’exclusivité absolue pour la marque regorge encore de possibles.