Après-Baselworld, la parole aux insiders: Marton Radkai
Journaliste horloger, traducteur et rédacteur sénior de Wristwatch Annual, Marton Radkai répond à nos questions sur Baselworld 2014. Il nous dit tout sur les montres, les personnalités, marques...
Votre retard le plus fâcheux…
Aucun, certains petits changements ont dû être aménagés, mais la clef du succès à Bâle c'est l'organisation pure et dure de l’agenda: du spontané mélangé avec des rendez-vous avec les grandes marques qui opèrent souvent selon un système presque militaire… Et certaines visites se sont limitées à regarder dans les vitrines à une vitesse absurde.
Votre rendez-vous le plus étonnant
Des rendez-vous avec des tout nouveaux… les montres duManège, de Mr. Julien Fleury, le seul à inscrire «La Chaux-de-Fonds» sur le cadran. Etonnant, parce que ce jeune homme à l'air d'avoir quitté le collège il y a quelques jours… Mais il a une énergie encore très vigoureuse, il est idéaliste, très réveillé, et aussi apparemment d’une maturité remarquable. Il travaille avec des sous-traitants de la région, il a produit une montre qui est sportive, élégante, boîtier complexe, mécanique de Technotime… Bref un début excellent, courageux, à soutenir. En souscription, a saisir à 50%.
Il y a aussi Paul et Patrik Mürner et Alexandre Chiovetta.... Ils ont fait revivre l'Union Horlogère Genève-Bienne et… pour du vintage, c'est du vintage! Très bien fait. L'histoire de la marque est assez étonnante, elle est à l' origine de Dugena (Allemagne) et de Alpina (!). Et les Mürner, à part avoir bu de l'eau de Bienne toute leur vie, n'ont pas vraiment de passé horloger, mais ils ont de la vision et apparemment du bon sens, ainsi que la bonne étoile des débutants.
Votre plus belle rencontre
Ah …. n'étant pas un fan du bling, des animaux morts, des gadgets pour décorer des gens sans imagination, ou bien des voitures, je me trouve toujours émerveillé par des objets qui rayonnent la bienfacture, harmonieux, qui répondent un peu au "surprenant" et à l'harmonie comme décrite dans l'essai sur le goût de Montesquieu. Et la récolte reste abondante… Il y a plusieurs marques qui, à mon avis, continuent à produire dans un écrin de continuité selon leur propre politique esthétique. Je noterai ici des petites marques, comme Perrelet, Milus, Eberhard.
Votre plus belle surprise
Konstantin Chaykin. Un homme avec des idées incroyables: cette année, c'est un sablier qui égoutte les minutes. L'année dernière, c'était un cinéma avec le cheval de Muybridge sur le cadran… Et il est là, ce génie, une apparence sans chichis, des garde-temps sincèrement extraordinaires. C'était son Lunokhod qui m'avait déjà attiré il y a belle lurette, pour sa lune 3D exquisément placée au centre du cadran. Aussi de l'Est, cette fois d'Ukraine, Valerii Daneyvich continue avec ses montres en bois…. seul le spiral est en métal. Ce travail méticuleux ne produit pas des gardes-temps particulièrement précis, mais l'exécution est exceptionnelle et c'est ce qui semble compter. Petite merveille vers la fin de mon séjour: une rencontre avec la Valbray Oculus, un jeu d’obturateur assez sympa sur ce chrono.
Au niveau de l’organisation, ce qui vous a marqué
Nous les journalistes et les ouvriers produisant du contenu philo-horlogiste, nous avons un grand et bel espace maintenant, avec deux bémols: pas assez de casiers pour mettre les deux catalogues officiels de la foire, deux briques beaucoup trop épaisses et lourdes, qui gaspille le kérosène pour rien. J'ai discuté avec des collègues, trois-quarts ne les ouvriront même pas… L’autre problème: manque d’espaces pour s’asseoir et faire autre chose que travailler à l’ordi. Le coin bar est trop petit et se remplit vite, le reste est trop spacieux. Peut-être les organisateurs pourraient-ils demander aux utilisateurs de quoi ils auraient besoin? Ma contribution constructive: mettre le zinc là où étaient les médias suisses, et séparer les espaces nourriture/café de l’espace boulot.
Votre nuit la plus courte
Ma dernière, vers le 1er avril... Lever à 3.15.... mais c'était le travail! En freelance pur, je dois aussi m’occuper d'autres clients dans d'autres domaines. Ce n’est pas toujours facile, mais je me suis entraîné à faire des turbosiestes déjà comme ado.
Votre journée la plus longue
Le jeudi…. Le Welt am Sonntag annonçait ses «montres de l'année» le soir et c’était une occasion de voir un peu ce que les lecteurs de ce medium allemand aiment. Mais la journée avait commencé très tôt…
Votre coup de cœur montre
Aïe ... Je regarde les Nomos et j'aime. Pas pour moi personnellement (bien qu'en nageur, j'aimerais quand même tester la Ahoi), mais dans l’entièreté de la marque. Elle fait de la com’ excellente, en harmonie totale avec le produit. C’est assez rare dans le business. Il y en a d'autres aussi, mais je préfère les garder en catimini... Les articles sont déjà écrits, et aujourd’hui il y a trop de braconnage…
Le contact que vous vous réjouissez de suivre et d’approfondir
Je continue à suivre le travail de Itay Noy, un constructeur-designer d'Israël. Cet homme est un philosophe, ses montres ont toujours un rapport profond avec le porteur, elles sont des objets qu'on appellerait des «touchstones» en anglais, des pierres spéciales qui nous font réfléchir sur des sujets comme la religion, nos propres origines, notre vue de la communication, notre ville natale, etc…
Je continue aussi a suivre Yvan Arpa, qui a un don d’iconoclaste, un espèce d’anti-Calviniste, si l’on veut, qui se sert d'éléments décoratifs pour nous faire réfléchir aussi sur des thèmes quotidiens, des thèmes qui peuvent changer la direction de notre vie (une balle de pistolet, des ailes de papillon, la poubelle électronique que devient notre terre et notre société…), bref, des thèmes dont on ne parle pas beaucoup dans certains cercles dirigeants, ce qui pourrait rappeler le Versailles des années 1780.
Je mentionne ici aussi Peter Speake-Marin, avec sa créativité rafraîchissante. Quelle bonne idée qu’il a eue de laisser une collection (Cabinet des Mystères) un peu «ouverte» pour éviter le piège du statut de «marque» avec tout que cela implique, à commencer par un manque de liberté pour des idées farfelues.
Grâce a Yvan Arpa, j’ai aussi fait la rencontre de Fabien Lamarche, fondateur de Julien Coudray 1518…. Tout un monde artisanal est à trouver dans ces montres taillées dans des blocs de platine et d’or.
Mais il y en a plus…
La phrase, les mots qui vous ont tué!
Il y a un mot qui m'agace…. Bravo aux gens de la com’ de l’avoir introduit comme une grippe aviaire verbale. Le mot «code», encore pire que le mot «ADN.» Et ça juste au moment où cet horrifiant «tradition et innovation» était en train de se débiner en douce... Dans la com’, il faut lâcher les chevaux, comme ça ils ne vont pas aller chercher du foin chez le voisin d'étable. Et il faut que ces bonnes gens fassent en sorte que le produit soit synchronisé avec sa communication. N’allez pas faire toute une philosophie avec de l’ordinaire! Car le manque d’authenticité casse le message et diminue la tension. Et tant qu’à faire, n’essayez pas de «vendre» aux journalistes. Il ne sont pas – et ne devraient pas agir comme – des consommateurs.